Steve McCurry

Dialogue : Jessie Brinkman Evans et Steve McCurry
Cette année, Leica fête son centenaire. En août, Jessie Brinkman Evans ouvre un dialogue photographique avec Steve McCurry. Une fois de plus, le centenaire du Leica I donne lieu à une rencontre inspirante. À la galerie Leica de Melbourne, les œuvres de Jessie Brinkman Evans ouvrent un dialogue photographique avec celles de Steve McCurry. Ce dernier est célèbre pour ses portraits poignants qui se distinguent par une remarquable gestion de la lumière et par une profonde humanité. Jessie Brinkman Evans joue elle aussi sur la lumière et les couleurs. Elle met en scène de manière esthétique les interactions entre l’être humain et la nature. Ses œuvres contrastent culture et sens existentiel de la vie.
Jessie Brinkman Evans I Steve McCurry

100 ans de photographie Leica – qu’est-ce que cela vous inspire ?
Je pense que ce succès est en grande partie dû à l’inépuisable engagement dont Leica fait preuve envers les photographes en mettant à leur disposition des instruments de précision fabriqués à la perfection et en valorisant le processus de documentation de la vie sous toutes ses facettes. La simplicité et la puissance de ces instruments relèvent de la magie, une magie qui me permet de rester créative et flexible lorsque je travaille avec un équipement qui m’aide à concrétiser ma vision artistique.
Comment l’œuvre des lauréats du Leica Hall of Fame a-t-elle influencé votre travail ?
Je me souviens avoir étudié les photos de Steve McCurry pour la première fois durant mon adolescence. Cela me paraît donc incroyable d’écrire à leur sujet aujourd’hui. Outre l’évidente beauté de la composition, de la lumière et des couleurs, son œuvre possède la capacité inhérente à documenter nos interactions humaines d’une manière qui nous parle à tous. Cela ne peut qu’être le fait d’une véritable curiosité pour la culture, la langue et l’humain. À l’époque où je cherchais encore ma propre voie en tant que photographe, c’était une source d’inspiration constante et un rappel que la composition d’image est une danse entre l’être humain ou le paysage devant moi et la lumière qui l’enveloppe.

Jessie Brinkman Evans
Sur quel thème portent vos photos dans l’exposition ?
Le thème des photos que j’expose met en contraste la culture et le sens de la vie et montre comment cette interaction peut influencer une personne. L’une de ces photos en particulier représente une petite fille des îles Féroé qui a revêtu les habits d’une petite fille du Groenland : au-delà de l’expérience universelle de l’enfance, l’image souligne les parallèles culturels et l’échange. Elle fait le lien avec la représentation que l’on a de « l’autre » et qui est présente en filigrane dans des photos similaires.
Quel appareil avez-vous utilisé pour réaliser vos photos et pourquoi ?
Pour ce projet, j’ai utilisé les Leica M11, M6 et Q2. Dans l’Arctique, par exemple, il règne un rythme de vie unique en son genre qui dépend souvent de la météo. J’avais donc envie de travailler plus lentement avec des appareils à visée télémétrique, trois objectifs et le Q2. L’équipement que j’ai choisi m’a permis d’immortaliser délibérément des moments paisibles, mais aussi de réagir avec flexibilité aux situations spontanées.
Où puisez-vous votre inspiration ?
Je tire beaucoup mon inspiration de la littérature et de l’art. Je saisis toutes les occasions d’observer quelqu’un traduire à sa façon la lumière et le ressenti d’une scène. Ma mère a aussi toujours été pour moi une grande source d’inspiration : sa curiosité sans bornes et son courage m’ont beaucoup marquée et ont façonné la personne que je suis aujourd’hui.
Parmi les clichés sélectionnés du lauréat du LHOF, lequel est votre préféré ? Pouvez-vous le décrire en quelques mots ?
L’une de mes photos préférées de Steve McCurry est Mother and Child at Car Window, Bombay, India, 1993. La séparation que crée la fenêtre de la voiture, l’émotion de la mère et l’innocence de l’enfant comblent le fossé entre notre expérience et la leur. La buée sur la fenêtre, la main de la mère et ce petit air humble dans son regard à travers la vitre entrouverte, tout cela concourt à raconter une histoire à laquelle on peut tous s’identifier, peu importe d’où l’on vient.
Steve McCurry

Les expositions sont un dialogue visuel entre deux générations. Comment avez-vous abordé le sujet ?
Alors même qu’une génération nous sépare et que la perception de la photographie dans la société a entre temps beaucoup changé, je vois notre point commun en tant que photographes à la jonction de l’humanité, de la culture et de la communauté. C’est l’un des aspects les plus importants de la manière dont nous évoluons dans le monde et établissons des liens au-delà des frontières et des langues.
Quels points communs et quelles différences sont apparus dans ce dialogue ?
Dans ce projet, je voulais étudier la relation entre la culture et les lieux au sein des communautés arctiques du Groenland en portant une attention particulière aux personnes dont la vie est étroitement liée à la terre. De manière générale, mon approche photographique met fortement l’accent sur la lumière et l’espace. Je m’efforce tout particulièrement de saisir les extraordinaires nuances de couleur caractéristiques de l’Arctique. Bien que ma palette chromatique se distingue clairement de celle de Steve McCurry, nous avons en commun une curiosité pour l’humanité. Je crois que nous souhaitons tous deux explorer comment les êtres humains s’imbriquent dans leur environnement. Le fil conducteur de nos œuvres est notre quête de similarités entre les êtres humains et notre tentative de saisir l’essence de l’expérience humaine à travers la photographie.
Comment la photographie a-t-elle évoluée durant les dernières décennies ?
La composition visuelle est aujourd’hui beaucoup plus immédiate. Rien que depuis le début de ma carrière, les choses ont beaucoup changé. Cette nouvelle rapidité influence aussi notre manière d’appréhender les images. De manière générale, nous ne prenons plus vraiment le temps d’étudier en détail chaque photo comme il faudrait le faire, car nous en consommons au quotidien une énorme quantité.
Quelles opportunités et quels défis voyez-vous pour l’avenir de la photographie ?
Je pense que la photographie, comme d’ailleurs l’ensemble de la société, va devoir continuer à remettre en question l’intelligence artificielle et son rôle dans la conception visuelle. On observe déjà cette tendance dans la popularité persistante dont jouit l’argentique et l’estime que les photographes, tout comme leur public, vouent à l’empreinte indubitablement humaine qui en résulte. Finalement, il y a certaines choses que l’IA ne pourra jamais reproduire, tout particulièrement les œuvres qui se fondent sur des relations humaines véritables.
Quel rôle jouent les galeries à l’heure des médias numériques, particulièrement en relation avec votre travail ?
À mon avis, les galeries sont aujourd’hui tout aussi importantes qu’avant. Dans notre monde numérique actuel, nous sommes souvent bombardés d’images et perdons la capacité de nous confronter à chacune d’elles comme il se doit. Lorsque des photos sont exposées en grand format dans des galeries, nous pouvons à nouveau interagir avec elles de manière intensive et nous plonger dans leur contemplation. C’est seulement en masquant le bruit émis par l’espace numérique que nous donnons vraiment aux images l’opportunité de nous émouvoir.
Steve McCurry


Jessie Brinkman Evans
Jessie Brinkman Evans est originaire de Californie du Sud et d’Australie et vit aujourd’hui entre Melbourne (Australie) et Saint-Jean de Terre-Neuve (Canada). Elle est connue pour ses projets axés sur la jonction entre culture et sens de la vie. La plupart du temps, elle adopte une approche documentaire et met en particulier l’accent sur la lumière et les couleurs, tant sur le plan technique qu’esthétique. Elle documente l’Arctique depuis de nombreuses années et a en outre travaillé en tant que photographe de plateau. Sa première exposition solo a eu lieu en 2023 dans la No Vacancy Gallery à Melbourne.

Steve McCurry
Steve McCurry est né en 1950 à Philadelphie (États-Unis). Il a étudié le cinéma et le théâtre à la Pennsylvania State University. Photographe et photojournaliste, il est principalement connu pour son emblématique portrait intitulé Afghan Girl (1984) qui fut publié en couverture du National Geographic. Depuis 1986, il est membre de la célèbre agence de photographie Magnum. Il a reçu de nombreuses distinctions pour ses œuvres et a notamment remporté à quatre reprises la première place du concours World Press Photo. Steve McCurry a publié ses clichés dans plus de vingt livres de photographie.